Quand les textes se mettent à parler

par Dominique Gounelle  /

 

Et vous, quel texte vous parle ? Telle était la question de l'enquête parue dans les colonnes du Messager et d'Evangile et Liberté l'an dernier. Les résultats permettent de tracer quelques lignes générales sur la manière dont un texte peut devenir révélateur de Dieu.

 

Le premier constat est le faible nombre de réponses : cinq lecteurs du Messager ont envoyé leurs textes favoris, dix-huit lecteurs d'Evangile et Liberté. Cette rareté va avec une grande qualité : les textes envoyés ont été l'occasion d'expériences fortes, de décisions importantes ou de convictions profondes; leur envoi est dans la plupart des cas accompagné du récit des circonstances de l'expérience de rencontre ou de parole de Dieu. Plus encore qu'il peut sembler de prime abord, parler d'un texte qui nous parle de Dieu, c'est parler de soi et de son intimité profonde. Et ce récit, chez les personnes qui ont répondu, ne se fait qu'au compte-goutte, à des personnes importantes, ciblées – ou à l'enquêtrice sous le couvert de la discrétion, et non à un groupe, pas même à une communauté chrétienne. Pour certains, l'important n'est pas tant de parler de l'expérience spirituelle vécue que des conséquences qu'elle a eu : décision, engagement, actes…

 

Le deuxième constat est celui de la grande variété de textes reçus : 53 en tout, bibliques et hors du canon, sans qu'un seul texte n'apparaisse chez deux personnes différentes. Il y a quand même quelques constantes : les versets bibliques qui se sont mis à parler sont des textes qui étaient sus par coeur et que les circonstances ont fait revenir en tête. Le texte est alors entendu d'une façon nouvelle, et il permet d'interpréter les circonstances.

  

 

L'expérience de rencontre ou de parole avec un texte comme déclencheur permet généralement de surmonter une épreuve, d'affronter une nouveauté, de prendre une décision importante ou de découvrir une nouvelle certitude; cette expérience est donc une étape dans la construction du sens de la vie, dans la compréhension du monde. Le contenu du texte peut être très lié à cette nouvelle compréhension, comme il peut y avoir un lien beaucoup plus lâche entre les deux : parfois le texte est une partie nécessaire de la nouvelle compréhension, parfois il semble n'être que l'occasion d'une concentration particulière qui aurait permis à une nouvelle idée de jaillir. Et même s'il est nécessaire, cela peut être au prix d'un sens particulier du texte, d'une interprétation toute personnelle.

 

La nouvelle construction du sens, dans le cas des personnes qui ont répondu à l'enquête, a permis de se rapprocher d'une communauté chrétienne, voire de se définir comme chrétien. Mais ce rapprochement s'accompagne d'une conviction personnelle assez forte pour rester critique par rapport au groupe ou aux institutions.

 

Les expériences relatées pour l'enquête n'ont pas fait apparaître le culte comme lieu de la parole ou de la rencontre avec Dieu, car il s'agissait à chaque fois d'événements vécus de façon solitaire. Par contre, le culte pouvait être le lieu où cette expérience était remémorée, par exemple quand le texte déclencheur était réentendu, et où cette expérience pouvait être prolongée ou approfondie. Une fois de plus en toute discrétion, car ce travail se fait sans être exprimé publiquement ou signalé.

 

Cette enquête m'a permis de découvrir la vie spirituelle intense de paroissiens protestants assez anonymes. Elle a mis en lumière des convictions profondes, qui ne sont habituellement pas exprimées dans les communautés et lors des cultes. Une des grandes questions qu'elle me pose est de savoir si ces expériences et les personnes qui les ont vécues peuvent enrichir la vie de l'Eglise, directement ou par leurs conséquences.

 

 Dominique Gounelle  

 

[article paru avec quelques modifications mineures dans Le Messager 8/2011, p. 8]